vendredi 8 décembre 2023


Coccinelle : des Tuamotu à Singapour, en passant par le Nouvelle Zélande.

Par : Gilles.


Coccinelle est mouillé dans la petite marina de Nongsa Point, tout au Nord de l'île de Batam, en Indonésie, à quelques milles de Singapour. Il y est arrivé mi juillet 2023. Pour vous tous qui suiviez le blog, c'est un peu le grand écart. La dernière mise à jour remonte à avril 2017. Qu'il s'en sont passées des choses depuis avril 2017. Entre Tahiti et Singapour, il y a plus de 6.500 milles. Pour simplifier, je dirais que Armelle et moi nous sommes perdus en route. En juillet 2018, ce qui ne formait déjà plus une famille en bateau prenait l'avion, Papeete, San Francisco puis Paris, où nous attendaient frères et sœurs. Les deux mêmes qui avaient été les témoins de notre mariage. Armelle s'est ré installée à La Rochelle, avec les filles. A La Rochelle, elle a recommencé à travailler pour le bureau d'études spécialisé dans le nautisme, avec lequel elle avait par le passé, avant que Coccinelle ne parte en voyage, travaillé à la maîtrise d'oeuvre de l'Hermione, à Rochefort. Quant à moi, je me suis mis au travail, et je me suis lancé dans un projet titanesque : la transformation d'une grande maison en plusieurs appartements. Coccinelle est resté au mouillage à Taravao plusieurs années, avant que je ne le convoie aux Tuamotu, au chantier d'Apataki, au printemps 2021. Je venais alors de terminer et mettre en location un nouveau logement, il était temps d'aller m'occuper du bateau. Mon bateau désormais puisqu'avant de divorcer (c'est mon père qui nous avait mariés), il avait fallu vendre la maison que j'avais imaginée, dessinée, et construite, de A à Z. Sauf le terrassement, et l'enduit. Mais parce que je l'avais construite (avec l'aide de mon ouvrier, mon père encore), alors Armelle avait accepté de me laisser Coccinelle. Nous étions arrivés en Polynésie en juin 2013, nous en étions repartis en juillet 2018, même si j'étais retourné trois mois à Tahiti début 2020, pour remettre Coccinelle propre et aller naviguer un peu jusqu'à Moorea.



1er septembre 2023. Mes bagages au départ de Bretagne.


Quand l'avion survole les glaces du Groenland.




Escale à San Francisco


1er septembre 2022. San Francisco, Papeete.

Comme à chaque fois que je suis revenu au bateau, j'étais bien chargé, avec avec moi deux gros bagages bourrés de matériel pour Coccinelle, j'avais même pris une nouvelle (vieille) machine à coudre, le même modèle que celle alors à bord, un peu en fin de vie. Après 22 heures d'avion et douze heures de décalage, j'avais loué une voiture, avant de me rendre chez les copains de ex Maui, Christelle et Patrick, qui avaient désormais vendu leur bateau, et qui ont posé pied à terre dans la banlieue Sud de Papeete. J'y avais dormi quelques heures, récupéré le matériel que j'avais laissé chez eux lors de mon précédent séjour, avant de prendre la route de la presqu'île, Taravao. Où j'allais laisser une partie de mes affaires. Le lendemain j'allais prendre un avion d'Air Tahiti (les lignes domestiques), pour me rendre sur l'atoll d'Arutua, à proximité d'Apataki, qui ne dispose que d'une toute petite piste d'aviation. Arutua peut recevoir des ATR, mais à bord de ces avions les seuls bagages autorisés sont limités à 12 kilos, avec heureusement un autre en soute de 23 kilos, à condition d'avoir auparavant voyagé en long courrier, ce qui était mon cas. J'ai ensuite passé quelques heures chez mon copain Guy à trier mes affaires et surtout sélectionner ce dont j'aurais absolument besoin pour effectuer les travaux que j'avais à faire tant que Coccinelle serait au sec. Après la mise à l'eau aux Tuamotu, j'allais revenir ici à Taravao récupérer le reste de mon matériel et continuer la préparation du bateau pour le remettre en état et le convoyer jusqu'en Nouvelle Zélande. Cette journée avait été bien remplie, et pourtant je devais encore rentrer sur Papeete, car le lendemain à la première heure j'avais mon avion pour Arutua. Sur la route, et alors que la nuit était tombée, accentuant encore un peu plus la fatigue accumulée depuis que j'avais quitté les Côtes d'Armor : le train jusqu'à Roissy, les heures de vol, le décalage horaire, et le manque de sommeil, j'avais du m'arrêter pour dormir quelques dizaines de minutes, une mise à la cape avant de repartir. Le lendemain, j'étais dans l'avion, qui après une heure de vol se posait sur le tarmac de l'aérodrome de Arutua, après avoir survolé quelques atolls, je retrouvais la magie des Tuamotu.




Sur le tarmac de l'aéroport de Papeete, embarquement dans l'avion d'Air Tahiti pour l'atoll d'Arutua.


Le survol d'un atoll. toujours aussi magique.



                                       


Promenade sur le platier de l'atoll.


Au vent d'Apataki.


Apataki. Le chantier naval le plus isolé du Monde.

Tony m'y attendait avec son poti marara, Giancarlo était du voyage, lui aussi venait d'arriver (d'Italie), et il partait rejoindre son cata. Après une brève escale au village, nous avons traversé le lagon, pour enfin arriver au pied de Coccinelle. Qu'il est beau ! Plus de 80 heures avaient passé depuis que j'avais quitté la Bretagne. Opua en Nouvelle Zélande était à environ 3.000 milles, je n'avais pas d'autre objectif, et j'allais m'y tenir. La liste des choses à faire était longue, j'ai bien sûr procédé par priorités, dans un premier temps, toutes les tâches dont je vais devoir m'acquitter tant que le bateau est au sec. Parmi lesquelles, une histoire de vannes. Depuis notre départ de Tahiti, en 2018, je n'étais pas complètement serein en laissant Coccinelle seul au mouillage. L'une des vannes présentait un point dur en l'ouvrant ou la fermant. J'avais un temps envisagé de la changer à flot, avec une pinoche insérée à l'extérieur, finalement je n'avais pas pu m'y résoudre, estimant le risque supérieur au bénéfice. Quand en 2021, en plein Covid, il m'avait fallu justifier d'un besoin impérieux pour me rendre en Polynésie, j'avais argumenté le danger représenté par cette vanne, qui risquait de lâcher à tout moment. Et alors que Coccinelle était au sec aux Tuamotu, celle-ci avait fini par se rompre, alors que je tentais de désolidariser la durite. Dans les tâches à réaliser, j'avais donc les vannes métalliques à changer, je les ai remplacées par des plus modernes, en matériaux composites (True Design). J'avais aussi un chantier à réaliser sur la jupe (que j'avais fabriquée à Hiva Oa aux Marquises). Certains collages devaient être refaits, et il m'avait aussi fallu revoir la stratification sur un renfort en bois. Chantier d'une certaine importance auxquels s'ajoutaient le réarmement du bateau, ce qui prend toujours du temps et notamment quand il faut tout faire tout seul. Auparavant, lors des autres gros chantiers (je pense notamment à la réfection des vernis), nous étions deux à nous y coller, avec Armelle, deux aussi à réfléchir. Et à deux on va trois fois plus vite. Fidèle à moi-même je n'avais pas su m'offrir un peu de temps pour enfin me reposer de la fatigue accumulée par le voyage et le décalage horaire.




Je retrouve enfin Coccinelle. Heureux.



Entretien sur la jupe.



La jupe de Coccinelle. 



La jambe qui renforce le tube horizontal du régulateur d'allure.



Je fais du batô, porté par le vent, c'est écolo !



Coccinelle tout pimpant, prêt à naviguer de nouveau.



Sur son chariot, Coccinelle s'apprête à retrouver l'eau de mer. 


Faux départ.

Il m'aura fallu un peu plus de deux semaines pour venir à bout du chantier, application de nouvelles couches d'antifouling compris. Le jour de la remise à l'eau était arrivé, et après quelques difficultés rencontrées lors de la remise en route du moteur, rapidement Coccinelle s'était retrouvé mouillé sur son ancre, dans le lagon. Sauf que... Sauf que de l'eau suintait dans les fonds du bateau. Une micro fuite générée par le remplacement d'une vanne, l'illustration une fois de plus (c'est particulièrement vrai dans le milieu du bateau), que le mieux est parfois (souvent) l'ennemi du bien. Coccinelle est un dériveur lesté, ce qui signifie qu'il possède une quille, assez peu profonde (1.25 m), dans laquelle pivote une dérive qui est descendue dès que le bateau navigue au plus près du vent, à partir du vent de travers. Selon une vieille légende, une dérive peut parfois refuser de descendre (ce qui peut paraître difficile vu le poids de celle-ci), les techniciens de Jeanneau avaient imaginé une grosse vanne (1 ¼), située au dessus de la quille, et à travers laquelle une sorte de bâton aurait permis d'appuyer sur la dérive, pour l'aider à descendre, si jamais elle avait refusé de le faire. La vanne était elle aussi corrodée, et j'avais dû vraiment beaucoup forcer pour enfin pouvoir l'extraire. Puis je l'avais remplacée par une nouvelle en composite. Sauf qu'en l'extrayant je l'avais si bel et bien forcée que j'avais fait bouger le passe coque. Celui-ci n'étant plus étanche, de l'eau suintait à bord. Avec au programme 3.000 milles à parcourir jusqu'en Nouvelle Zélande, il m'avait paru plus judicieux de régler le problème. Coccinelle avait donc repris le chemin du motu, et j'avais du m'acquitter du prix d'une nouvelle manutention, aller et retour, sans la moindre remise (à Apataki, business is business, Tony, Alfred son père et leurs familles ne sont pas là pour rendre service. Tout se paie, et au prix fort. Avec parfois le désagréable sentiment d'être pris en otage sur un motu du bout du monde). Dur pour mon budget !


Malgré les protections mises en place.



La poussière a tout envahi.



Le trou est bouché, et après quelques heures de ménage, Coccinelle était prêt à retrouver son élément.

En route.

Le problème enfin résolu, j'avais rejoint le tout petit mouillage du village de Apataki, peuplé de quelques dizaines d'habitants, le temps d'effectuer d'ultimes petits travaux avant de partir pour Taravao, sur la presqu'île de Tahiti. Je n'avais alors plus navigué depuis près de 18 mois. Dans ces cas-là, avant de mettre les voiles, je ressens toujours une certaine appréhension, je ne sais pas trop comment interpréter la météo, la crainte d'une avarie non décelée, alors que Coccinelle est resté au sec tout ce temps. J'ai fini par y aller. C'était il y plus d'un an, et j'ai encore en tête parfaitement les images de la première navigation dans l'atoll, et celle, quelques jours plus tard, quand Coccinelle et moi avons vu la passe d'Apataki peu à peu s'éloigner dans le sillage, jusqu'à ce que seuls le sommet des cocotiers ne soient encore visibles. Avant qu'ils ne disparaissent totalement, au bout d'une douzaine de milles seulement. Un peu plus de deux jours plus tard, nous longions les côtes de la presqu'île de Taravao, passions devant la passe de Teahupoo, la plus belle vague de la planète surf, avant de pénétrer dans le lagon, encadré par de (très) grosses vagues qui brisaient de chaque côté de la passe. Avant de venir, pour la dernière fois, mouiller à Taravao. A Apataki, j'avais repris contact avec la communauté de bateaux en voyage, même si comme les 'voyageurs' en caravane, un bon nombre d'entre eux se sont sédentarisés. J'aurais aimé effectuer ma sortie de Polynésie dès Taravao, c'était sans compter sur la mauvaise volonté des gendarme du cru, qui me déclarèrent ne pas savoir faire, et je n'ai eu d'autre possibilité que de m'arrêter à Raiatea. Je ne souhaitais plus rester en Polynésie. Il me tardait de quitter la Polynésie, elle était trop liée à l'explosion de notre famille. Nous étions arrivés pour la première près de 10 ans plus tôt, les relations entre voiliers navigateurs s'étaient tendues, les plaisanciers n'étant désormais clairement plus les bienvenus, si ça n'est peut-être aux Marquises, et dans les moins fréquentés des atolls des Tuamotu. Aux Australes, à Raivavae, là où en 2017 Teura nous avait dit au revoir en nous offrant à chacun un collier de coquillages (ce fut aussi le cas à Hao), les voiliers ne sont désormais autorisés à rester trois jours au mouillage, et doivent ensuite partir, quelles que soient les conditions météo. Le PGEM (Plan de Gestion des Espaces Maritimes) de Moorea prétend limiter la présence des voiliers dans le lagon, et l'animosité augmente. A Raiatea, un catamaran avait vu sa ligne de mouillage tranchée car certains auraient décidé de leur propre chef qu'une grande partie du lagon était Tapu. J'avais eu la chance de vivre des années exceptionnelles, extraordinaires en Polynésie, un rêve éveillé tous les quatre en famille. Habitués à s'occuper des formalités de sortie auprès des différentes administrations à Papeete, celles-ci furent vite effectuées par les gendarmes de Raiatea. Et une fois obtenue la Clearance de sortie, expédiée sur ma boîte mail, l'Océan Pacifique m'avait de nouveau ouvert ses bras, pour une chevauchée fantastique qui devait dans un premier temps me conduire jusqu'en Nouvelle Zélande.



La traversée de l'atoll d'Apataki



Heureux le capitaine !



Au mouillage dans le petit port de Apataki.



L'entrée dans la passe de Tapuaeraha qui mène à Port Phaeton, sur le presqu'île de Taravao.



La passe est saine et s'embouque sans problème.



Coccinelle au mouillage à Taravao. Pour la dernière fois.


Le souffle du Grand Large. Aitutaki aux îles Cook.

Qu'il s'est avéré doux de communier de nouveau avec l'Océan, ce fabuleux souffle du Grand Large, quand une fois les amarres larguées, se dessine mille après mille cette savante alchimie du bateau, du mât et des voiles, le safran et le régulateur d'allure, un subtil équilibre ordonné par un chef d'orchestre, moi, et une symphonie écrite et à chaque fois recommencée, celle de l'Océan. J'ai toujours aimé les départs à la voile, quand devant l'étrave s'ouvrent des centaines de milles à parcourir. Une fois encore, j'ai été surpris par ces zones désertiques maritimes, où l'on ne rencontre que bien peu de navires, et donc âme qui vive, et alors que la population mondiale vient de dépasser 8 milliards d'habitants. Pour celui qui y est sensible, la mer et les bateaux représentent assurément l'ultime espace de Liberté. Liberté avec un Grand 'L' majuscule. Plusieurs centaines de milles séparent Raiatea de Aitutaki, et je savais en quittant la Polynésie un midi que je risquais d'arriver de nuit. Ainsi fut fait. La nuit était sans lune quand j'ai contourné l'atoll, avant de m'approcher, les yeux rivés sur l'écran et les cartes, jusqu'à l'entrée du chenal, long d'un mille, taillé dans le corail par les forces armées Etats-uniennes lors de la Seconde Guerre Mondiale, afin de construire un aérodrome sur l'atoll. La grande piste est toujours utilisée. Il faut toujours considérer que la cartographie, fut elle électronique, peut être imprécise, et c'est quand le sondeur m'avait indiqué une profondeur inférieure à dix mètres que l'ancre était venue se poser au fond de l'eau. Dès les premières lueurs du jour, j'avais distingué le long chenal creusé dans le corail qui conduit jusqu'au petit port. Un bateau de pêche s'est approché de moi et m'a indiqué que la marée était haute, et que j'allais pouvoir y aller. Cook islands. Aitutaki. Je m'y étais arrêté en septembre 1995 avec Orca, le jour où, à Mururoa, avait explosé une nouvelle bombe atomique, après que Jacques Chirac eût décidé de relancer une série de tests. L'accueil y avait été mitigé. Cette année, j'y suis resté plus de deux semaines, en attente d'une fenêtre météo favorable avant de continuer vers Tonga, qui venait d'ouvrir de nouveau ses frontières, après être restées fermées depuis l'arrivée du Covid (désolé, je n'arrive pas à le féminiser). Ce qui n'était pas encore le cas de Niue, et je ne m'y arrêterais pas. Aitutaki et les îles Cook, c'est un peu l'image d'Epinal de la Polynésie heureuse. Constitué de deux groupes d'îles, le Nord et le Sud, l'archipel totalise quelques dizaines de milliers d'habitants. Les voitures y sont rares, les deux roues y sont rois, et la vitesse en théorie limitée donne l'impression d'un village rangé. Je serai le seul voilier au village avant que n'arrive vers la fin de mon séjour un catamaran allemand. De temps à autre nous nous sommes retrouvés avec quelques locaux autour d'une glacière remplie de bières, à refaire le monde jusqu'à tard dans la nuit. Coccinelle n'avait reçu que peu d'amour au cours des années passées, et je ne m'y suis pas ennuyé, caisse à outil et machine à coudre ont souvent été de sortie.




Au mouillage à Aitutaki, îles Cook.



Arutanga, la capitale.



Je progresse !



Des plages de rêve rien que pour moi. Comme en Bretagne Nord hors saison. Seule change la température.



Narcisse.



Ombre du cycliste dans le soleil déclinant. Aitutaki, Cook islands.


Ce soir, opération bière.


Encore 1000 mètres. Restons concentrés !



800 mètres. Courage !



600 mètres. Bientôt le réconfort après l'effort.



400 mètres. Jamais je n'ai été aussi proche.



200 mètres. La dernière ligne droite.



Ca y est ! 


Tavae. Si loin du Monde.

Nous sommes dimanche. L'activité est plutôt réduite sur le port encore en travaux, et elle le restera tout au long de mon séjour d'un peu plus de deux semaines. Tavae était un pêcheur de Faa, à Tahiti. En 2002, il prend la mer sur son poti marara, embarcation typique de la Polynésie, caractérisé par un trou d'homme tout à l'avant de celle-ci, et qui permet d'une part de diriger le bateau, d'autre part d'avoir une vue sur le mahi mahi, la daurade coryphène, et ainsi la harponner. Alors qu'il se trouvait au large, la turbine de la pompe à eau de mer de son moteur in board a rendu l'âme. Il s'en suivra une dérive de quatre mois sur le plus grand océan du monde, jusqu'à ce que finalement les courants (et aussi peut-être la main de Dieu. Mais lequel ?) ne le jettent sur un motu au vent de Aitutaki, One foot island. Grâce à son expérience de pêcheur et une foi inébranlable dans sa survie, c'est un homme affaiblit qui fut récupéré par les habitants, dont l'un parlait le Tahitien, Tavae ne s'exprimait pas en français et encore moins en anglais. Dans l'après-midi, un agent de l'agriculture est monté à bord de Coccinelle, récupérer mes poubelles (!), et aussi tous les fruits et légumes frais, dans les faits, quelques bananes et autres oignons. Je lui ai parlé de Tavae, j'ai appris que son bateau était resté ici. il m'aurait plu de le voir. Soudain, le fonctionnaire, submergé par l'émotion quand il s'est remémoré l'arrivée de Tavae, n'a pu retenir ses larmes, et tous deux nous sommes retrouvés en train de pleurer ; tout en riant. Un peu plus tard, j'irai dans ce chantier où le bateau est stocké. Tavae avait décidé de laisser son bateau à la communauté d'Aitutaki, il existe un projet afin de construire autour du bateau un musée, le projet est toujours dans les cartons. Tavae mourra quelques années plus tard, à Tahiti, emporté par un cancer. Ces jours là la météo n'était pas très coopérative, et plutôt instable, j'estimais la route vers Tonga impraticable, alors j'ai attendu. Il y a pire dans la vie que de devoir rester à Aitutaki dans l'attente de jours meilleurs. L'île est un véritable petit paradis. On ne s'y déplace guère autrement qu'à deux roues motorisé, ou à bicyclette. Les plages bordées de cocotiers sont désertes et elles semblent réservées au voyageur solitaire que je suis. J'appréciais particulièrement me rendre tout au Nord de l'île (ça n'est qu'à quelques kilomètres), avec sur le dos mon Ukulele, mon interprétation de 'Bella Ciao' a progressé (bientôt en ligne) ! J'ai aussi beaucoup bricolé, couture, accastillage et plan de pont, gréement, etc. Jusqu'à ce qu'enfin une fenêtre météo ne s'ouvre.



Tavae. Si loin du monde.


Teha 2, son bateau, à bord duquel il a dérivé durant 118 jours. 



Le poti marara de Tavae.

Tonga, puis la Nouvelle Zélande.

La pandémie de Covid était encore bien présente, et Niue (Etat indépendant) était toujours fermé. Idem pour Palmerston (une île des Cook). Heureusement Tonga venait d'ouvrir ses portes. Quelques jours plus tard, Coccinelle venait s'amarrer à Nuku Alofa, le long d'une grosse barge de travail. La capitale de Tonga portait toujours, bien visibles, les stigmates du tsunami consécutif à l'éruption du volcan en janvier de cette année 2022, dix mois plus tôt. Je n'y resterai que quelques jours, le temps de me reposer, effectuer quelques bricoles. Car j'avais en tête un objectif, unique. Aller en Nouvelle Zélande. Ce qui sera fait huit jours plus tard. Je ne disposais toujours pas de moyen pour recevoir la météo en mer. J'utilise habituellement un émetteur BLU couplé à un modem Pactor, l'ensemble me permet en théorie de me connecter à l'une des stations Sail Mail, et aussi envoyer et recevoir des mails, mais aussi et surtout de recevoir des fichiers météo de type Grib. Un court circuit avait endommagé le modem. Car après Tonga j'allais faire route plein Sud, en direction du Nord de la Nouvelle Zélande. J'allais quitter les vents d'alizé pour traverser des vents de directions plus variables, avec la possibilité en route de croiser le chemin du front tardif : nous étions début novembre, le printemps dans l'hémisphère Sud. La météo sur un petit bateau comme Coccinelle (nous, Coccinelle et moi) permet surtout de savoir à quelle sauce est-ce qu'on va se faire manger. La vitesse du bateau ne nous permet pas de prendre telle ou telle option pour aller chercher un meilleur angle de vent, comme peut le faire un bateau de course ou encore un grand catamaran de croisière affûté. La distance parcourue (ou à parcourir) serait trop pénalisante et au bout du compte on arriverait bien plus tard ! Je ressentais donc un peu plus une certaine appréhension, avec effectivement sur la fin de cette traversée de huit jours quelques passages un peu ventés (trois ris et trinquette enroulée) mais tout s'est bien passé. Et par un petit matin de printemps austral, peu à peu les contours ombrés des sommets de l'île du Nord de la Nouvelle Zélande avaient surgit de l'horizon. Et en fin de journée, Coccinelle était venu s'amarrer dans la marina d'Opua. J'ai passé un peu plus de quatre mois en Nouvelle Zélande. Les formalités et contrôles y offrent un aspect assez surréaliste, quand un agent de l'agriculture était venu immerger une caméra de type GoPro près de Coccinelle afin de vérifier si ma carène était propre. De nombreux produits, y compris des boîtes de conserve qui contenaient de la viande, avaient été confisquées, toute forme de produits frais, etc. Bien sûr en amont (c'est désormais le cas dans de nombreux pays), il avait fallu préparer mon arrivée en ligne, demander et payer un visa (que je devrai ensuite renouveler), faire différentes déclarations. J'étais arrivé en Nouvelle Zélande. Ou plus précisément, j'avais quitté la Polynésie française. Et ensuite ?



Coccinelle amarré le long d'une barge à Nuku Alofa, Royaume de Tonga.


Un saut à l'autre bout de la terre.

Rapidement la question de rentrer en France pour les fêtes s'était posée. Plusieurs arguments allaient dans ce sens. Mon père vieillissant développait une maladie neuro dégénérative et il n'existait plus guère d'autre solution que de le placer en EPHAD. Un an plus tôt j'avais rencontré Aline et on ne s'était pas vus depuis trois mois. Et puis il y avait Apolline et Camille, qui avaient encore grandit, elles avaient désormais 13 et 15 ans, il me tardait de les revoir. Finalement, je suis venu. Sur Trade Me, le Bon Coin local, j'avais déniché un petit mouillage, entre deux piliers, typique des rivières de Nouvelle Zélande, négocié pour un prix mensuel correct (une centaine d'€). J'avais pris le bus jusqu'à Auckland, avant d'embarquer sur un vol à destination de Dallas, Texas, Etats Unis, puis de Paris, avant de poursuivre vers la Bretagne en Blablacar. J'y avais retrouvé Aline. Accompagné de mes frères et sœurs, nous avons organisé le départ de mon père en EPHAD. Et enfin j'avais retrouvé Apolline et Camille, nous avions notamment passé quelques jours à Paris, où elles avaient dévalisé (comme elles avaient pu le faire l'été précédent en Italie), les boutiques qui vendent des fringues aux ados. Le 31 décembre, j'étais de nouveau dans l'avion à destination de Dallas, puis de Auckland, et enfin KeriKeri. J'étais arrivé en Nouvelle Zélande au printemps, j'avais fait une petite incursion dans l'hiver de l'hémisphère Nord, avant de revenir en été dans l'hémisphère Sud. Qu'il est bon de retrouver la tiédeur, tandis que l'Europe s'enfonce dans l'hiver, avec ces nuits qui n'en finissent plus et les nez rouges qui coulent sous l'effet de virus pléthoriques. Un virus que j'avais ramené avec moi, dans mes bagages (ou plutôt dans mon corps) sous la forme d'une grippe carabinée. J'avais du arriver à 18h à Kerikeri, à 19h j'étais au bateau, et à 20h je commençais à grelotter, tandis que les courbatures attaquaient mon corps. J'allais passer près de deux semaines à fond de cale, ne quittant que rarement ma couchette.



Coup de vent dans la Baie des îles.



Mon mouillage New Zealand style, entre deux piliers. Un véritable trou à cyclones !



Dans la baie des îles.



Au mouillage dans la baie des îles.


Coccinelle en France.

Au départ, mon projet en Nouvelle Zélande était encore vague, même si rapidement je m'étais demandé ce que je faisais là tout seul à l'autre bout du Monde. J'avais pensé un temps laisser Coccinelle en Nouvelle Zélande de mars à novembre, pour l'hiver austral, dans mon petit mouillage à Kerikeri. Mes projets étaient aussi passés par le Japon puis le passage du Nord Ouest, ou encore la Patagonie. Mais la grippe avait remis les pendules à l'heure, et peu à peu avait germé dans mon esprit l'idée de ramener le bateau en France... par la route la plus courte. Il me coûtait cher au bout du monde, entre les billet d'avion, les assurances, les frais de port. La route logique et la plus courte, via la Mer Rouge et le canal de Suez, un temps écartée car en 1996 avec Orca je l'avais déjà empruntée, était devenue projet. En février, Aline était venue me voir en Nouvelle Zélande, son séjour aura été ponctué par deux phénomènes météo extrêmes, l'inondation de l'aéroport de Auckland, et un cyclone (si si...), Gabrielle, comme Gordon et Nadine aux Açores dix ans plus tôt (voir plus haut dans le blog), et qui n'avait rien perdu de sa vigueur quand il avait impacté l'île du Nord. Nous nous en étions sortis sans bobos, bien à l'abri dans les méandres de la rivière de Kerikeri. Coccinelle n'avait pas été très entretenu depuis cinq ans, et les prix prohibitifs de tout matériel qui touche de près ou de loin au bateau en Polynésie (ce qui est également plus ou moins vrai pour à peu près tout ce qui se vend en Polynésie, sauf peut-être le tabac?), et je n'avais pas pu effectuer les remises à niveau nécessaires. J'avais refait les housses des coussins du carré, les couleurs étaient bien passées. J'avais aussi refait une partie des rideaux. Il avait fallu changer les deux éviers de la cuisine, ce qui avait généré la reconstruction d'une partie de leur support, repeindre, et aussi modifier le robinet de la pompe à eau de mer. Mais le plus gros chantier aura consisté à refaire une grande partie de l'électricité, changer le panneau et rationaliser l'ensemble, encastrer les instruments, etc. J'avais aussi mis en place de nouveaux interrupteurs avec disjoncteur, un ensemble de qualité mais dispendieux. Et désormais, tout fonctionnait, y compris le projecteur de mât, les feux de route, etc. J'avais aussi changé l'auto-radio, racheté d'occasion un écran pour le radar, remplacé le modem Pactor pour la BLU, endommagé suite à une fausse manip de ma part qui a entraîné un court circuit. J'avais changé certaines poulies à plat pont, et remplacé une partie du gréement courant par du Dyneema. Au delà du gain de poids, les manœuvres allaient se révéler bien plus fluides, et les frottements avaient été grandement diminués.




Pour changer les éviers, il a fallu démolir le bloc.



Avant de le reconstruire, avec du bois, de la résine époxy, et différentes qualités de charges


Et voici le résultat !





L'un des gros chantiers aura consisté à refaire le tableau électrique et une grosse partie de l'électricité. Cela m'aura pris plusieurs semaines !



L'opération aura consisté à tout démonter, mettre des cosses, identifier, etc.




Ca ressemble à du carbone, mais ça n'est pas du carbone. Il s'agit d'adhésif appliqué sur du contreplaqué. Le résultat en vaut la chandelle. Et surtout tout fonctionne !


C'est un voilier, pas un bateau à moteur.

La seule chose à laquelle je ne m'étais pas attelé, c'était le moteur. Grave erreur. Car jusqu'à présent mon manque de passion pour la mécanique, associée à une certaine philosophie qui aurait voulu que 'tant que ça marche, on n'y touche pas', m'avait fait pratiquer la politique de l'autruche. Auparavant, j'ignorais ce que pouvait bien être un collecteur d'échappement. J'avais bien remarqué des traces de rouille, au dessus de l'échappement, mais quand sur les conseils d'un copain Français installé en Nouvelle Zélande, j'avais voulu démonter pour voir ce qu'il en était... Tout m'était resté dans les mains, les durites ne tenaient plus à rien. J'avais alors tout démonté, et montré à un mécanicien ce qu'il en restait, en réalité, un tas de rouille. Le rôle du collecteur (on dit 'manifold' en anglais, désormais je le sais!), consiste à mélanger les gaz d'échappement à l'eau de mer du refroidissement. J'avais appris plus tard qu'il s'agissait d'une pièce d'usure. Si à force d'être usé et dévoré par la rouille, l'eau aurait fini par passer à travers, celle-ci aurait pénétré dans les cylindres. Et l'eau de mer n'étant pas compressible, le moteur aurait été détruit. Fichtre ! J'avais donc commandé la pièce auprès de l'un des deux ateliers de mécanique présents sur la place d'Opua. L'avantage d'Opua, c'est qu'on y trouve quasiment tous les corps de métier liés au nautisme (c'est aussi vrai pour Wangharei, et Auckland bien entendu), un peu comme à La Rochelle en France. On y trouve toutes les spécialités liées à l'entretien d'un bateau de plaisance. Cerise sur le gâteau, les voiliers de passage bénéficient d'une exemption de taxes. J'avais donc commandé la pièce (à plus de 850 € HT tout de même!!!), pour un bloc de ferraille de 6 kilos. Le collecteur devait arriver dans les trois jours. Privé de moteur, j'étais venu amarrer Coccinelle dans la marina (auparavant, je mouillais devant, à portée d'annexe des facilités). Je prenais mon mal en patience, même s'il faut le reconnaître : l'avantage du bateau, c'est qu'on ne s'ennuie jamais, et il y a toujours à faire, entretenir, réparer, ou encore améliorer. J'avais prévu d'être prêt à partir pour la Nouvelle Calédonie le dimanche 9 avril, mais les semaines qui avaient suivi s'éteint succédées sans qu'aucune fenêtre météo ne se soit présentée. Et quand enfin la possibilité de repartir ver la Nouvelle Calédonie s'était présentée, la pièce n'était toujours pas arrivée. J'avais alors dû bricoler le vieux collecteur (le tas de rouille) pour repartir avec, sans retirer trop de matière. Auparavant, j'avais du commander un joint à Tahiti (!) et le faire venir par DHL, car il semblait non disponible à cette époque sur le secteur Australie Nouvelle Zélande. Si je l'avais moi-même démonté, j'avais demandé au mécano de le remettre en place.

Ca peut tenir deux mois, ou un an, mais il faut absolument le changer, et le plus vite possible.

A condition d'en avoir un sous la main. C'est donc l'ancien qui avait repris du service, avec sur ma tête une véritable épée de Damoclès, et le risque réel de perdre (définitivement) mon moteur.



Aline.



La Baie des îles.




Sous spi.




La côte Ouest de l'île du Nord. Into the Wild !



C'est déjà le départ !


En route pour l'Asie du Sud Est.

Je venais alors de passer plusieurs mois en Nouvelle Zélande, et pourtant je n'avais pas vu grand chose. Tout au plus quelques balades en voiture avec Pamela, amie de longue date (on se connaît depuis l'année que nous avions passée à Hiva Oa, aux Marquises, en 2016, où elle travaillait comme médecin). Elle officiait désormais ici en Nouvelle Zélande. Nous ferons plusieurs balades dans le Nord de l'île du Nord, et d'autres encore avec Coccinelle dans la baie des îles. L'endroit est magnifique, malgré les caprices de la météo cette année là. Certains prétendent que l'on peut parfois avoir deux saisons dans la même journée en Bretagne. Je crois pouvoir affirmer que dans le cas de la Nouvelle Zélande, c'est plutôt quatre. On dit parfois aussi que l'herbe du voisin est plus verte. Dans l'île du Nord, c'est particulièrement vrai, pluie et lumière la rendent parfois vert fluo. Je prévoyais le retour de Coccinelle en Europe en deux temps. D'une part, un premier voyage en dehors de la période cyclonique dans l'hémisphère Sud, où l'alizé devrait nous pousser jusqu'aux environs de Singapour, ou mieux, Langkawi en Malaisie, ou pourquoi pas en Thaïlande. J'envisageais alors de laisser Coccinelle dans un chantier, rentrer en France avant la fin juin et revenir ensuite au bateau en janvier, quand dans l'Océan Indien, la mousson de Nord Ouest aurait laissé la place à la mousson de Nord Est. Elle devrait nous pousser jusqu'à l'entrée de la Mer Rouge. Je comptais contourner l'Australie par le Nord, jusqu'à Darwin, avant de traverser l'Indonésie, où les bateaux de pêche sont annoncés comme étant pléthoriques, sans AIS ni radar, et une veille de tous les instants s'impose. Une navigation en solo n'était pas envisageable, et j'allais devoir embarquer une ou un équipier, peut-être pas au départ, mais cela s'avérerait nécessaire entre Darwin et la région de Singapour. Dans le petit monde des backpackers à la recherche d'un embarquement, Christina m'a été présentée. Elle préfère qu'on l'appelle Rhu. La quarantaine, née au Royaume Uni, elle vit en Nouvelle Zélande dans une communauté depuis plus de dix ans. Christina allait m'accompagner entre Nouvelle Zélande et Nouvelle Calédonie ; malgré toute sa bonne volonté et sa gentillesse, j'ai du lui demander de quitter le bord lors de l'escale de Nouméa. A Opua, il aura fallu attendre près de cinq semaines pour qu'une fenêtre météo acceptable ne daigne montrer le bout de son nez et ouvre la route de la Nouvelle Calédonie. Fatigué d'attendre, je finirai par partir un vendredi ! En bateau, il ne faut pas être superstitieux, ça porte malheur. Je ne me souviens plus exactement à quoi est dû cette superstition. Mais j'essaie de la respecter. Après tout, dès qu'on est à la mer, on a suffisamment de chances d'avoir des problèmes sans en rajouter en partant un vendredi. Mais là il y avait un cas de force majeure. Aucune possibilité ne se présentait à l'horizon dans les jours suivants. Les conditions n'auront pas été les meilleures, et au milieu du trajet (mais nous le savions en partant), il avait fallu passer une quinzaine d'heures à la cape, le temps de laisser passer des vents forts. Et contraires.





Week-end bateau avec Pamela dans la Baie des îles.



J'ai fait le choix de réviser moi-même mon radeau de survie.



C'est un Viking, il est resté gonflé trois jours, tout s'est avéré OK.



Le top du snobisme en Nouvelle Zélande, rouler en BX !

Nouméa, Nouvelle Calédonie.

Sur le trajet, les oiseaux. Pratiquement chaque soir, à la tombée de la nuit, des fous venaient voler autour de Coccinelle, à la recherche d'un lieu pour dormir, finissaient par se poser qui sur la balcon à l'avant, qui sur les panneaux solaires. Leurs pattes palmées s'accrochent là où elles peuvent. Tout comme les poules à la tombée de la nuit, ils cachent alors leur tête sous leur ailes. Et s'endorment. Ce matin là, c'est un fou solitaire qui de loin suivait le sillage de Coccinelle. Mais celui-ci semblait planer longuement à la surface de la houle. Je ne reconnaissais pas son vol. De plus cet oiseau paraissait grand pour un fou. Rapidement le doute avait disparu. Cet oiseau n'était pas un fou. C'était un albatros. Un vrai. Un grand. Le seigneur ailé des océans. Waouh, quelle chance. Ma petite croisière dans le Grand Sud (je n'avais pourtant pas dépassé la latitude de Opua, par 35° 19' S, à comparer des 79° N que nous avions atteint avec Armelle à bord de Picrate) aura été riche, et mes désir faunesques auront été exaucés. D'une part, un troupeau d'orques, dans la baie des îles. Et d'autre part, un albatros ! Coccinelle arrivait en Nouvelle Calédonie. Nous étions entrés dans l'immense baie de Prony, tout au Sud de l'île. L'escale de Nouméa allait être de courte durée. Le temps de nettoyer le bateau, grimper en tête de mât pour remplacer la cadène qui tient le point de drisse du spi, elle s'était ouverte ce qui a précipité le spi à l'eau. Il avait fallu le rincer, puis écumer les boutiques d'accastillage, aux produits bien plus dispendieux qu'ils ne l'étaient en Nouvelle Zélande, remettre la cambuse à niveau. Arrivés le samedi soir à Nouméa (frôlés par de très gros bateaux à moteurs qui passaient devant nous à 15 nœuds!), j'en étais reparti le mercredi en début d'après-midi. Seul de nouveau. Les conditions étaient conformes au prédictions des Pilot Charts, l'alizé était établi, et il poussait dans le bon sens, le courant annoncé entre un et deux nœuds était lui aussi conforme aux prédictions, et Coccinelle alignait de belles journées. 150, 160, et même un jour plus de 170 milles gagnés sur la destination en 24 heures. Plus de 7 nœuds de moyenne sur 24 heures, quand la moyenne depuis Tahiti tournait plutôt aux alentours de 5,4 nœuds. Le prochain objectif serait le détroit de Torres.



Christina, mon équipière entre Opua en Nouvelle Zélande, et Nouméa en Nouvelle Calédonie.



A Nouméa : le magnifique bateau de Fred, tout en bois, construit dans les années 60 à Venise, en Italie.



Il est à vendre.



Pour un amateur éclairé, assurément. Et un peu fortuné, aussi. Entretenir un tel bateau n'a rien de simple. !


Détroit de Torres.

Je ne souhaitais pas faire le tour par Bramble Cay, et Bligh Entrance, emprunté pour la première fois par William Bligh et ses compagnons d'infortune après qu'ils eussent été abandonnés dans leur chaloupe suite à la mutinerie sur la Bounty par Fletcher Christian et ses acolytes. En venant du Sud, j'avais choisi l'alternative de Reine Island, qui permet l'économie d'une bonne centaine de milles tout en conservant un meilleur angle par rapport au vent. J'étais entré dans la passe au petit matin, dont j'aperçus surtout la grosse houle qui brisait sur le corail. J'aurais aimé parcourir au moteur les quelques milles nécessaires pour pouvoir venir m'abriter et dormir mais la brise était trop forte et la puissance de mon moteur, malade par ailleurs, et toujours en sursis, trop faible. J'aurais pourtant apprécié le bénéfice d'une journée de repos (et donc de sommeil), avant de continuer ce passage à l'intérieur de la Grande Barrière de Corail d'Australie, et dont le transit interdit tout repos. Tant pis, je n'avais d'autre choix que de continuer. Il existe bien un mouillage mais il était encore loin et il serait difficile d'y être avant la nuit. La prise de mouillage allait s'avérer très rock'n'roll avec 25-28 noeuds de vent, et à la voile s'il vous plaît, car le moteur a refusé de démarrer. Rien a voir avec le problème du collecteur, c'est un problème électrique, j'allais devoir démonter le tableau de commande. Avant toute chose il me fallait surtout dormir. Mais comment remonter l'ancre (et donc l'alternateur en action pour maintenir la tension dans la batterie) sans le moteur. Et tout ça de nuit évidemment sinon ça n'aurait pas été complètement rock. Le mouillage était précaire, ça bougeait presque autant qu'en nav l'après-midi précédent. Heureusement le vent devait mollir dans la nuit. Puis je m'étais couché, avant de m'endormir comme une masse. Mais quelques heures plus tard, alors que je rêvais de je ne sais quoi, je fus réveillé en fanfare, Coccinelle dansait dans tous les sens, générant d'énormes coups de rappel dans le bout de l'ancre (la jambe de fer). Un grain était sur nous, il avait changé l'orientation du vent et des vagues. Le bout avait cassé sous les mouvements de ressac, et la chaîne tirait directement sur le guindeau. Heureusement les miracles existent : le moteur a accepté de démarrer, je n'aurais pas à tenter de le mettre en route à la manivelle. J'allais partir, pour naviguer toute la nuit. Pourtant il était urgent d'attendre, et surtout de me reposer. Alors je m'étais recouché; jusqu'au matin. Le grain s'en était allé depuis longtemps et au matin, nous glissions tranquillou, génois tangonné, en direction de Thursday island, à 71 milles. Des serpents à la surface de l'eau me tenaient compagnie. En fin de journée, je m'en étais venu mouiller à quelques centaines de mètres sous le vent du Cap York, le point le plus au Nord de l'Australie. C'est aussi la limite entre l'Océan Pacifique et l'Océan Indien. Nous étions entrés dans l'Océan Pacifique dix ans plus tôt, en mai 2013, par le Canal de Panama. Coccinelle naviguait désormais dans l'Océan Indien.



En Nouvelle Zélande, l'eau était trop froide pour que je m'y baigne. A Nouméa, la baignade était interdite pour cause d'attaques de requins. 



A Thursday island, ce sont les crocodiles.


Thursday island, Océan Indien.

J'ai effectué les formalités d'entrée en Australie à Thursday Island, ou une partie seulement, car avec l'Agriculture du pays des kangourous, rien n'est simple. Vingt huit ans plus tôt, c'était en 1995, je m'étais déjà arrêté à Thursday Island. De cette escale les souvenirs sont vagues, ils se sont dilués dans le temps. Puis j'avais repris la mer en direction de Darwin, dans les territoires du Nord. Le passage dans le Détroit de Torrès par les navires est soumis à l'embarquement d'un pilote, la marge est des plus réduites, des navires avec 10 mètres de tirant d'eau passent dans des chenaux profonds seulement d'une douzaine de mètres. Avec la présence à bord de l'AIS, les navires anticipent et passent à un mille de nos petits voiliers. A une dizaine de milles peut-être à l'ouest de Thurday Island, les chenaux zig zaguent en contournant des bouées, la marge de manœuvre des navires est quasi inexistante. A la VHF, j'ai reçu un premier appel de la pilotine (un navire rapide long d'une trentaine de mètres et qui se déplace à 30 noeuds!) qui m'a demandé de mettre du Sud dans mon Ouest. J'ai donc fermé les panneaux de pont, bordé un peu les voiles, et loffé de quelques dizaines de degrés. Jusqu'à ce que je sois de nouveau appelé par un navire, étrange structure à la surface de l'horizon et qui au fur et à mesure qu'il se rapprochait s'est avéré être une plate forme de forage pétrolier posée sur un navire submersible. Et celui-ci m'a demandé (gentiment) de faire (rapidement) route au Sud, sinon, selon ses dires, 'la situation risquait de devenir compliquée', et avec elle le risque d'une collision. Je me suis donc exécuté, avant quelques milles plus tard de reprendre ma route en direction de Melville island et le golfe de Van Diemen. Le vent lève une mer assez courte mais c'était portant. Et au portant tout va bien.


Darwin, Territoires du Nord. Crocodiles et serpents d'eau de mer.

Depuis quelques jours les serpents de mer se faisaient plus nombreux, ondulant à la surface de l'eau, il y avait là quelque chose d'inquiétant. Quand à la nuit tombée et après m'être battu contre un courant de marée revêche, je suis venu mouiller sous le vent de la côte, loin de toute trace humaine (sauf peut-être le balisage maritime), c'est probablement la fatigue accumulée depuis la nouvelle Zélande qui a exacerbé le ressenti par rapport à la réalité. La région est infestée de crocodiles d'eau de mer, les plus gros peuvent mesurer jusqu'à 7 mètres, et même si je ne suis pas bien épais, je n'avais pas trop envie de leur servir de déjeuner. Alors je me suis enfermé à l'intérieur de Coccinelle, j'ai condamné les hublots, et installé à l'arrière des brêlages destinés à prévenir l'intrusion d'un énorme batracien affamé dans mon petit univers. Le lendemain matin, toujours en vie et pas encore dévoré, l'ancre avait rejoint le davier, je hissai la grand-voile, avant de faire route vers Darwin, la capitale des Territoires du Nord. A Darwin, j'espérais trouver un équipier pour m'aider à veiller les bateaux de pêche le long des côtes Indonésiennes. Au Cruising Club de Darwin, je repérai quelques annonces de voyageurs en quête d'un embarquement. Je rencontrai ainsi Sandrine, jolie trentenaire, qui sur son vélo couché venait de traverser l'Australie, en solo. Et ce sera finalement son ancien petit copain qui allait embarquer avec moi. Steve a aussi le même âge, et il venait de parcourir 10.000 km à bicyclette au pays des kangourous. Il allait m'accompagner jusqu'en Malaisie, et plus précisément Langkawi, une île au large de la Malaisie, où j'avais l'intention de laisser Coccinelle, au sec dans un chantier. Je ne m'étendrai pas sur les agents de l'Agriculture Australiens car je vais m'énerver, et ça n'est pas bon pour moi (…), mais pour faire simple ils ne servent pas à grand-chose ce qui ne les empêche pas de s'imaginer être au centre du Monde.



Celui-ci est de pierre et me laisse de marbre.



Ah ben zut alors. La marée elle est montée et mon auto elle a été submergée !



J'ai profité des marées pour poser Coccinelle, et retrouver le réglage des béquilles.

 

Beau comme un camion.



Darwin. Un pic nique dominical en compagnie de Steve, Jeff, et Sandrine.

Croisière Indonésienne.

Trois jours après Darwin, Coccinelle se faufilait dans le détroit qui sépare les îles de Timor et de Roti. Cette dernière est décrite par Jules Verne dans '20.000 lieues sous les mers' comme étant le lieu sur terre où les femmes sont les plus belles. Peut-être Jules Verne aurait-il du faire naviguer le Nautilus du Capitaine Némo au large de l'ex Territoire des Affars et des Issas, à la corne de l'Afrique, où là aussi... Puis nous avions longé la côte Sud de Bornéo, en prenant la direction de Singapour. Je vous ai parlé de mes problèmes de moteur. Un autre est venu s'y greffer, l'inverseur a fait des siennes, par moments, l'arbre d'hélice n'était plus entraîné par le moteur, ce qui nous empêchait de progresser. Il allait en découler une usure prématurée des voiles. En général, quand les voiles commencent à battre, ceci est le signe qu'il est temps d'enrouler la voile d'avant, aplatir la grand-voile, et faire route au moteur. Sans moteur, dans le tout petit temps et surtout si le vent vient de l'arrière, les voiles battent, et s'usent prématurément. Lors de ce passage, elles se sont beaucoup usées, notamment la bordure de génois. A deux, nous avons pu assurer une veille constante, pour limiter les risques de collision avec l'un des pléthoriques bateaux de pêche, différents les uns des autres selon là où ils ont été construits. Tous sont peints de couleurs chatoyantes. La plupart du temps ils sont mouillés par 25 mètres de fond, il nous arrivera à plusieurs reprises de passer à proximité de l'un d'entre eux, en pleine journée, sans apercevoir âme qui vive. La journée tout le monde dort, et la nuit, de très puissantes ampoules électriques éclairent les ténèbres et la pêche peut alors commencer. Les poissons sont attirés par la lumière. Steve a assuré les premiers quarts jusqu'au milieu de la nuit, et je prenais le second. Comment l'expliquer ? J'ai fini par surnommer Steve le 'poissard du quart', car c'est quand il était de quart qu'il se mettait à pleuvoir des cordes, ou bien encore que les bateaux de pêche impliquent de sans arrêt modifier le cap. Par moments, il lui arrivera d'en comptabiliser jusqu'à une quarantaine. Quant à moi, je n'ai jamais eu à modifier ma route pour éviter l'un d'entre eux. 

Le blog de Steve : https://untourdaile.com/2023/08/10/loceanie-laisse-place-a-lasie/



Steve à la barre. 


Coucher de soleil.



Sous spi.



Coccinelle amarré dans la petite marina de Nongsa Point, sur l'île de Batam, en Indonésie. A quelques milles de Singapour.




Nongsa point Marina. Fin de la première partie du voyage de Coccinelle vers l'Europe.

C'est donc à la voile pure que nous avons rejoint la petite marina de Nongsa point, sur l'île de Batam, en Indonésie, à quelques milles de Singapour. Nous avons navigué deux semaines et deux jours depuis Darwin, avec de très belles journées voile, et avec à la clé de nombreux milles comptabilisés au point de midi, 150, 155, jusqu'à une fois de plus 170 milles gagnés sur la destination, aidés il est vrai par des courants favorables. Comme d'habitude, et qu'il s'agisse du courant ou du vent, la réalité s'est avérée conforme aux statistiques des Pilot Charts, en force, comme en direction. Nous sommes arrivés le lundi dans la matinée. Bien fatigués. Les formalités ont été vite expédiées. Aussitôt nous nous sommes attelés à la préparation de l'hivernage de Coccinelle. Tout a été rincé, séché, plié, le moteur rincé, préparé. Nous avions accumulé une telle fatigue que de temps à autre nous avons du interrompre notre travail le temps d'une sieste salvatrice. Mercredi midi, tout était fini. Coccinelle était prêt. Une navette m'a déposé au terminal des ferries, un navire rapide m'a conduit ensuite en moins d'une heure à Singapour, où j'ai pris un taxi jusqu'à l'aéroport de Changi, avant de monter dans un avion pour Paris puis un autre pour Nantes, où m'attendait Aline. Dans l'avion, j'étais tellement épuisé que je n'ai même pas eu la force de regarder un film, ou l'énergie de suivre la progression de l'avion. J'ai prévu de retourner au bateau début janvier, pour poursuivre mon voyage en direction de l'Europe, l'Océan Indien puis la Mer Rouge, le Canal de Suez, la Méditerranée, et le Canal du Midi. So long...



A la mer.



Voiles en ciseaux.



Sous spi. Heureux le capitaine.



Même si le spi est un peu court, sa surface est suffisante.



Soleil du matin.



Grâce à une poulie ouvrante en bout de tangon celui-ci reste à poste quand j'empanne le génois.